Comme tout le monde me regarde, je demande, en montrant cette végétation qu’ils appellent tchât : « Et moi, je ne peux pas en avoir ? » Guétou élève bien haut l’index droit et l’agite latéralement pour me signifier « non », comme on le fait avec les enfants, pendant qu’une moue abaisse les coins de sa bouche dans un visage qui affiche pleinement sa potentialité de bouledogue.
Je ne suis même pas vexé par son refus, qui me rend seulement perplexe. Je dois avoir l’air un instant désemparé puis, ignorant mon hôte, je regarde les autres en souriant et j’ouvre les mains vers le plafond d’un air interrogatif. Je trouve que je fais déjà un bel effort pour m’adapter rapidement à l’imprévu et je n’imagine pas sérieusement que la situation puisse se dégrader au point de m’obliger à refaire mes bagages en traitant ces inconnus d’inamicaux, d’inhospitaliers, de toxicomanes et d’autres noms d’oiseaux.
Avec beaucoup de naturel, Tesfay, le plus jeune et le seul que je connaisse, prend l’initiative de me faire une place à côté de lui. Il sort une poignée de tiges de son paquet et m’explique comment les décortiquer, en fabriquer une chique et la mâcher en mastiquant longtemps, jusqu’à ce que les feuilles, assez coriaces, soient réduites en bouillie. Un des autres précise : « Vous allez voir, le tchât, c’est un produit qui rend intelligent, l’esprit devient beaucoup plus clair. » Sur la lancée, la situation se normalise et les conversations reprennent. […] Un guide raconte ses exploits sexuels avec une étrangère anglophone arrivée de Djibouti. Il imite les gémissements et les cris d’émoi de la fille : « Oh yeah! Oh, don’t stop! Please, don’t stop! Oh, let’s do it again! … », provoquant de grands éclats de rire..