Sur les escaliers, il n’y avait personne, pas même son ombre. Pas trace de mendiante. Il n’a vu que lui-même, dans un miroir où elle était absente. Il a vu les vêtements qu’il portait, un manteau noir déguenillé, des pantalons bruns avec des taches de graisse, des chaussures avec une fermeture velcro. La conscience l’avait éclairé d’un rayon erratique, et aussitôt après obscurci d’un autre. Comme si, d’un révélateur photographique, était sortie une esquisse au lieu d’un visage. Mais l’image n’était pas encore fixée. Il ne restait que son propre « moi », qu’il avait redécouvert, nu, misérable et sans amour.
Redescendant en toute hâte, il est passé devant la boîte aux lettres du 12A rue Tomić, sans nom. Puis la boutique aux rideaux. Ses pieds couraient sur les marches ; on n’entendrait que plus tard leurs échos, ses talons deviendraient lourds, tant il la chercherait. Il a traversé le petit tunnel sous le funiculaire. Et enfin s’est retrouvé au bas des marches. La mendiante y était assise, Jelena sur les genoux. Son visage était vide, ses joues roses ; pas un seul muscle n’y a remué. Elle lui a souri : « Franjo, c’est bien toi ? Je ne dois plus mendier, je suis de nouveau à toi. Pour toute la vie, mon amour. »
Il s’est approché d’elles, bras tendus pour les enlacer l’une et l’autre. En s’élançant, il a trébuché sur une marche et perdu l’équilibre. Elles ont éclaté comme des apparitions ; il n’a embrassé que le vide. Leurs corps se sont évanouis, ne laissant qu’un parfum, comme un flacon d’eau de rose éventé, qui s’est évaporé à l’instant. Il s’est tourné vers le côté gauche de l’escalier. Peut-être s’y cachaient-elles. Seul y était assis un garçon en tee-shirt bleu, qui l’a regardé d’un air inquisiteur. Le funiculaire venait de s’ébranler. Se tenant à la rampe de fer forgé, il a vérifié qu’elles ne s’y trouvaient pas.
Les reflets sur le verre ne pouvaient pas tromper. Elles n’étaient pas à l’intérieur.