"Jean-Louis Massot n’agite aucun fanion au-dessus de sa barque, il file doux entre les vagues, le pilote ne prétend à aucune assurance, il tente, il essaye, il s’embarque à chaque fois en sachant « (…) que bredouille / l’on reviendra / de chaque nouvelle / saison de pêche / seul à jamais. »
J’aime les textes, les poèmes de Jean-Louis Massot pour cette raison simple, ils racontent notre histoire, ils parlent de notre embardée commune, de nos singuliers équipages, de nos îles si lointaines et jamais atteintes. Ses poèmes nous accueillent dans un univers fraternel – « Les tuiles cassées / de l’appentis / laissent passer la
pluie » – et « Les soirs d’été, / nous restons au jardin / à regarder le ciel / se traîner au-dessus de nous ». « Séjours, là » fait partie des carnets de route que la poésie nous offre discrètement, que l’on fourre dans sa poche, « on ne sait jamais… ça pourra toujours servir », et qu’on lit pour agrandir le monde, son monde, toujours en train de nous fausser compagnie.
Daniel Simon, extrait de la préface.
*
Dans la fraîcheur du matin
bien avant
que s’évapore
la rosée,
dans les lignes
creusées sur la terre
nous avons semé
épinards, princesses,
laitues des quatre saisons
et de la mâche qui tiendra
jusqu’aux premières gelées.
À la radio ils ont
dit que les grosses chaleurs
étaient derrière nous,
ont enchaîné
sur des inondations,
des attentats et sur l’atoll
de Bikini désormais
classé au patrimoine mondial.
*
Tenir après
la mort d’un proche
avec la frustration tenace
que plus rien
désormais
ne sera partagé
et que bredouille
l’on reviendra
de chaque nouvelle
saison de pêche
seul à jamais.
*
Son téléphone portable
collé à l’oreille droite,
elle affiche un si lumineux sourire
malgré la froide pluie
de janvier
qu’à l’instant où il l’a croisée,
il se serait bien métamorphosé
en clavier de portable
sur lequel elle aurait posé
des doigts qui doivent être
doux comme
une parole indienne.
*
Dans les jardins qui jouxtent les maisons au sortir des villages, il demeure de vieux messieurs aux visages burinés qui sourient avec malice quand ils vous montrent du doigt les premiers semis qui percent la terre qu’ils ont retournée au début du printemps comme s’il s’agissait de parcelles fertiles sur lesquelles sont tracés les sillons de leur vie.